lundi 5 mai 2008

C’est mon histoire: « Ce secret si lourd que ma mère me cache… »

Elle n’a pas connu son père. Sa mère n’a jamais voulu lui dire qui il était et elle n’ose toujours pas le lui demander directement. VéroniqUe, 49 ans, lance par l’intermédiaire de ELLE, un appel désespéré à sa mère pour qu’elle lui dise, enfin, la vérité sur sa naissance.














Je n’ai jamais connu mon père biologique. Ma mère ne m’a jamais dit qui il était ni ce qui s’était vraiment passé …. Un mystère, un secret de famille dont je suis la première victime. Je suis avocate dans une petite ville de province. Je vais avoir 50 ans et je ne peux toujours pas lui poser les questions qui me hantent depuis que je suis toute petite: qui est mon père? Pourquoi n’ai-je jamais pu le voir? Pourquoi un tel black out? Je ne sais rien ou presque.



Je devais avoir 6-7 ans quand je me suis aperçue que je ne portais pas le même nom que mes parents. Un soir, à table, j’ai timidement demandé des explications. Après un silence gêné, ma mère a regardé mon père, enfin celui que j’appelais « papa » et que je croyais jusque-là être mon père et elle lui a dit : « explique-lui, toi ». « Parce que maman a divorcé ! » m’a t il simplement répondu. Ca a été comme un coup de massue. Je me sentais coupable, honteuse, sans comprendre pourquoi.


Nous sommes ensuite restées des années sans en reparler. J’y pensais souvent, bien sûr. Je mourrais d’envie d’en savoir plus, mais je n’osais pas demander. Ils avaient été mariés trois ans. Probablement l’ avait t-il trompée et en guise de représailles, lui avait - elle fait une sorte de chantage: j’acceptes que tu partes, mais tu ne revois plus jamais ta fille! C’est cela je pense qu’elle n’a jamais pu m’ avouer. Et comme elle n’est pas le genre de femme à douter de la justesse d’une de ses décisions, à admettre qu’elle s’est trompée, surtout cinquante aprés….



Ma mère est ce qu’on appelle une femme de caractère, Avec elle, tout le monde file doux! Elle était professeur de lycée. Elle est à la retraite maintenant mais elle est encore très active. Elle n’est pas plus douée que moi pour le dialogue. Elle a 73 ans, moi je vais avoir 50 ans mais j’ai toujours peur de ses réactions et en face d’elle je suis encore comme une petite fille. Toute ma vie , je me suis dite : « je ne peux pas lui en parler . Est ce que j’ai le droit de raviver cette douleur? » Mais aujourd’hui, je n’ en peux plus, je me dis: oui j’ai le droit. Parce qu’ elle vieillit et même si elle est en très bonne santé, elle pourrait disparaître. Alors je veux qu’elle me raconte, qu’ elle me dise tout de son histoire d’amour avec mon père biologique, de ma naissance et de leur rupture. De leur bonheur puis de leur malheur.


A l’école, j’étais une bonne élève. La petite fille modèle. Je me conformais en fait à l’image qu’elle voulait de moi. Elle répétait : « ah si j’avais pu faire mon droit …. » Et moi, plus tard, j’ai fait mon droit et je suis devenue avocate ! Au collège , puis ensuite au lycée, elle s’était arrangée pour que je sois inscrite non pas sous mon vrai nom mais sous le sien. Je vivais sous cette double identité. J’avais le nom de mes parents pour la vie courante et une autre nom pour les papiers officiels. Le jour de l’oral du bac, je me souviens, je me suis levée à l’appel de mon nom, de mon vrai nom. Mes copines se sont étonnées . « Mais ce n’est pas toi ! » Elles ne savaient pas, bien sûr…



Je suis allée faire mes études dans la grande ville d’a côté. J’habitais seule. Pour la première fois de ma vie , je me sentais libre. J’ai commencé à me dire qu’il fallait que je retrouve mon père. Mais j’hésitais, j’attendais que lui me recherche, qu’il me trouve. Après, je devais avoir 22, 23 ans, je venais de me faire larguer par mon petit copain. Un week-end , je me suis confiée à ma mère . Elle a eu cette reflexion : « au moins tu n’es pas enceinte,toi… »



Je me suis mariée à 25 ans. Je suisdevenue avocate . Un soir , je fouille dans ses affaires, je tombe sur une alliance, avec leurs deux prénoms gravés : Josette et Georges. Un autre jour, chez mes grands parents, je découvre des photos. Lui , le visage découpé, avec moi , bébé, sur ses épaules . Une autre où il est avec ma mère mais le visage coupé là aussi, comme si on avait voulu le supprimer, faire disparaître toute trace de lui. Quand j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari et qui l’est encore aujourd’hui, ma mère a critiqué mon choix. Il était plus jeune que moi et il n’avait pas de travail. Elle me faisait la morale . «Tu ne vas pas épouser ce type là, quand même…» « Et pourquoi pas ?» J’étais en larmes. «Moi,j’aurais bien aimé qu’on me dise la même chose quand j’ai épousé ton père ….»


On s’est fâchées, je suis partie. J’ai eu mon fils trois ans après, mes parents n’ont pas voulu le voir, ça a duré un an. Et puis j’ai eu ma fille et les choses se sont un peu normalisées. Je réussissais bien . J'ai ouvert mon propre cabinet. Mais plus le temps passait, plus je me posais de questions, surtout celles-ci: pourquoi mon père m’avait-il abandonnée? Pourquoi n’avait-il jamais cherché à me revoir?

D’après mon acte de naissance , il avait 7 ans de plus que ma mère, je me disais: il va mourir et je ne le connaîtrai pas…. J’avais un minitel (Internet n’existait pas encore !) j’ai commencé à le chercher, méthodiquement. Dans le département où je suis née, une seule personne avait le même nom et le même prénom que lui. J’ai noté son numéro téléphone et je ‘lai gardé précieusement pendant des années, sans me décider à l’appeler. Je l’avais sur moi , dans mon portefeuille. Je n’en faisais rien. Et puis un jour, j’ai téléphoné. C’était il y a dix ans, je venais d’avais quarante ans


J’imaginais le scénario idéal: il allait décrocher, il dirait « allo » et moi je ferais: « bonjour… » Mais c’est une femme qui m’a répondu, j’étais déçue. J’ai demandé à lui parler, à lui. Je sentais une réticence et même un peu d’agressivité : « qu’est-ce que vous lui voulez ? » Je répondais évasivement, j’ai dit que j’avais le même nom que lui, puis je lui ai donné ma date de naissance, et elle m’a enfin dit qu’elle était sa femme,qu’elle savait qui j’étais, qu’il lui avait parlé de moi … J’ai insisté pour lui parler et là elle m’a dit que son mari était « parti » deux ans plus tôt, qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle allait faire un malaise, et elle a brutalement raccroché.


J’étais sonnée.

N’importe qui aurait compris qu’il était mort, mais pas moi. Je me raccrochais à l’espoir imbécile qu’il l’ avait peut-être quittée, tout simplement. De toutes façons, je ne pouvais pas en rester là: cette femme avait fait un malaise en m’entendant, j’en étais responsable, il fallait que j’en sache plus.

J’ai rappelé le lendemain et cette fois je suis tombée sur sa fille, ma demi –sœur, donc. Elle était un peu plus aimable . Elle m’a confirmé que son père était mort deux ans plus tôt, d’un cancer du poumon , que toute sa vie , il avait été mécanicien, qu’elle était au courant elle aussi de mon existence mais qu’il ne parlait jamais de moi…. Je lui ai demandé de m’envoyer une photo, si elle pouvait, ce qu’ elle a fait quelques semaines après. Mais sur ce cliché, on ne le voit que de profil, avec des lunettes noires et il porte la barbe. Impossible de découvrir une quelconque ressemblance! Je n’ai plus jamais eu de contact avec elle,ni avec sa mère et je suis restée depuis avec mes questions et cet éternel sentiment de vide et d’incompréhension. Quelles que soient les raisons de la séparation d’avec ma mère, pourquoi n’avait -t-il jamais cherché à me revoir, moi, sa fille? Pourquoi m’avait-il lui aussi rayée de sa vie?



Je suis une lente, moi et c’est la première fois que j’ose raconter mon histoire. Je n’en parlais jusqu’ici qu’avec mon mari et mes enfants. Ma mère lit ELLE toutes les semaines et si par hasard elle n’a pas ce numéro, je m’arrangerai pour le lui mettre sous les yeux . Maintenant que mon père est mort elle reste la seule dépositaire de la vérité et je me dis que grâce à cet article nous aurons peut-être toutes les deux la conversation que j’attends depuis si longtemps. Je le souhaite en tous cas. Pour moi mais aussi pour elle, pour qu’elle puisse, se libérer , elle aussi , de ce secret trop lourd à porter.

ELLE/ 21 avril 2008/ Propos receuillis par Antoine Silber

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