Elle n’a pas connu son père. Sa mère n’a jamais voulu lui dire qui il était et elle n’ose toujours pas le lui demander directement. VéroniqUe, 49 ans, lance par l’intermédiaire de ELLE, un appel désespéré à sa mère pour qu’elle lui dise, enfin, la vérité sur sa naissance.
 
Je n’ai jamais connu mon père biologique. Ma mère ne m’a jamais dit qui il était  ni  ce qui s’était vraiment  passé …. Un mystère, un secret de famille dont je suis la première victime. Je suis avocate dans une petite ville de province. Je vais avoir 50 ans et je ne peux toujours pas lui  poser  les questions qui me hantent depuis que je suis toute petite: qui est mon père? Pourquoi n’ai-je jamais pu le voir? Pourquoi un tel black out? Je ne sais rien  ou presque. 
Je devais avoir 6-7 ans quand  je me suis aperçue que je ne portais pas le même nom que mes parents. Un  soir, à table, j’ai timidement demandé des explications. Après un silence gêné, ma mère a regardé mon père, enfin celui que j’appelais « papa » et que je croyais jusque-là être mon père et elle lui a dit : « explique-lui, toi ».  « Parce que maman a divorcé ! » m’a t il simplement répondu. Ca a été  comme un coup de massue. Je me sentais coupable, honteuse,  sans comprendre pourquoi. 
Nous sommes ensuite restées des années sans en reparler.  J’y  pensais souvent, bien sûr. Je mourrais d’envie d’en savoir plus, mais je n’osais pas demander. Ils avaient été mariés  trois ans. Probablement l’ avait t-il trompée et en guise de représailles,  lui avait - elle fait une sorte de chantage: j’acceptes que tu partes, mais tu ne revois plus jamais ta fille!  C’est cela je pense  qu’elle n’a jamais pu m’ avouer. Et comme elle n’est pas le genre de femme à douter de la justesse d’une de ses décisions, à admettre qu’elle s’est trompée, surtout cinquante aprés….
Ma mère est ce qu’on appelle une femme de caractère, Avec elle, tout le monde file doux! Elle était professeur de lycée. Elle est à la retraite maintenant  mais  elle est encore très active. Elle n’est pas plus douée  que moi pour le dialogue. Elle a 73 ans,  moi  je vais avoir 50 ans mais j’ai toujours peur de ses réactions et  en face d’elle je suis encore comme une petite fille. Toute ma vie , je  me suis dite : « je ne peux pas lui en parler . Est ce que j’ai le droit de raviver cette douleur? » Mais aujourd’hui, je n’ en peux plus, je me dis: oui j’ai le droit.  Parce qu’ elle vieillit  et même si elle est en très bonne santé, elle pourrait disparaître. Alors je veux qu’elle me raconte,  qu’ elle me dise tout de son histoire d’amour avec mon père biologique,  de ma naissance et de leur rupture. De leur bonheur  puis de leur malheur. 
 
 
A l’école, j’étais une bonne élève. La petite fille modèle. Je me conformais en fait à l’image qu’elle  voulait de moi. Elle répétait : «  ah si j’avais pu faire mon droit …. » Et moi, plus tard, j’ai fait mon droit et je suis devenue avocate  ! Au collège , puis ensuite au lycée, elle s’était  arrangée  pour que je sois inscrite non pas sous mon vrai nom mais sous le sien. Je vivais sous cette double identité. J’avais le nom   de mes parents   pour la vie courante et une  autre nom pour les papiers officiels. Le jour de l’oral du bac, je me souviens, je me suis levée à l’appel de mon nom, de mon vrai nom. Mes copines se sont étonnées . « Mais ce n’est pas toi !  »  Elles ne savaient pas, bien sûr… 
Je suis allée faire mes études dans la grande ville d’a côté. J’habitais seule. Pour la première fois de ma vie , je me sentais libre. J’ai commencé à me dire qu’il fallait que je retrouve mon père. Mais j’hésitais, j’attendais que lui me recherche, qu’il me trouve. Après,  je devais avoir 22, 23 ans, je venais de me faire larguer par mon petit copain. Un week-end , je me suis confiée à ma mère . Elle a eu cette reflexion : «  au moins tu n’es pas enceinte,toi… »  
Je me suis mariée à 25 ans. Je suisdevenue avocate . Un soir , je fouille dans ses affaires, je tombe sur une alliance, avec leurs deux prénoms gravés :  Josette et Georges. Un autre jour, chez mes grands parents, je découvre  des photos. Lui , le visage découpé,  avec moi , bébé, sur ses épaules . Une autre où il est avec ma mère mais le visage  coupé là aussi,  comme si on avait voulu le supprimer, faire disparaître toute trace de  lui. Quand j’ai rencontré   celui qui allait devenir mon mari et qui l’est encore aujourd’hui, ma mère a critiqué mon choix.  Il était plus jeune que moi et il n’avait pas de travail. Elle me faisait la morale . «Tu ne vas pas épouser ce type là,  quand même…» « Et pourquoi pas ?» J’étais en larmes. «Moi,j’aurais bien aimé  qu’on me dise la même chose quand j’ai épousé ton père ….» 
On s’est fâchées, je suis partie. J’ai eu mon fils trois ans après, mes parents n’ont pas voulu le voir, ça a duré un an. Et puis j’ai eu ma fille et les choses se sont un peu normalisées. Je réussissais bien . J'ai ouvert mon propre cabinet. Mais plus le temps passait, plus je me posais de questions,  surtout celles-ci: pourquoi mon père m’avait-il abandonnée? Pourquoi n’avait-il jamais cherché à me revoir? 
D’après mon acte de naissance , il avait 7 ans de plus que ma mère, je me disais: il va mourir et je ne le connaîtrai pas…. J’avais  un minitel (Internet n’existait pas encore !) j’ai commencé à le chercher, méthodiquement. Dans le département où je suis  née, une seule personne  avait le même nom et le même prénom  que lui. J’ai noté son numéro téléphone et je ‘lai gardé précieusement  pendant des années, sans   me décider à l’appeler. Je l’avais sur moi , dans mon portefeuille. Je n’en faisais rien.  Et puis un jour, j’ai téléphoné.  C’était il y a dix ans, je venais d’avais quarante ans 
J’imaginais le scénario idéal: il allait décrocher, il dirait « allo » et moi je ferais: « bonjour… » Mais c’est une femme qui m’a répondu, j’étais déçue. J’ai demandé à lui parler, à lui. Je sentais une réticence et même un peu d’agressivité : « qu’est-ce que vous lui voulez ? » Je répondais évasivement, j’ai dit  que j’avais le même nom que lui, puis je lui ai donné ma date de naissance, et elle m’a enfin dit qu’elle était sa femme,qu’elle savait qui j’étais,  qu’il  lui  avait parlé de moi … J’ai insisté pour lui parler et là elle m’a dit que son mari était « parti » deux ans plus tôt, qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle allait faire un malaise, et  elle a brutalement raccroché. 
J’étais sonnée. 
N’importe  qui aurait compris qu’il était mort, mais  pas moi. Je me raccrochais à l’espoir imbécile qu’il l’ avait peut-être quittée, tout simplement. De toutes façons, je ne pouvais pas en rester là: cette femme avait fait un malaise en m’entendant, j’en étais responsable, il fallait que j’en sache plus.
 J’ai rappelé le lendemain et  cette fois  je suis tombée sur sa fille, ma demi –sœur, donc. Elle était un peu plus  aimable . Elle m’a confirmé que son père était mort deux ans plus tôt, d’un cancer du poumon  , que toute sa vie , il avait été mécanicien, qu’elle était au courant elle aussi de mon existence  mais qu’il ne parlait jamais de moi…. Je lui ai demandé de m’envoyer  une photo, si elle pouvait, ce qu’ elle a fait quelques semaines après. Mais sur ce cliché, on ne le voit que  de profil, avec des lunettes  noires et il porte la barbe. Impossible de découvrir une quelconque ressemblance! Je n’ai plus jamais eu de contact avec elle,ni avec sa mère  et je suis restée  depuis avec mes questions et cet éternel sentiment de vide et d’incompréhension. Quelles que soient les raisons de la séparation d’avec ma mère, pourquoi n’avait -t-il jamais cherché à me revoir, moi, sa fille? Pourquoi m’avait-il lui aussi rayée de sa vie? 
 
Je suis une lente, moi  et c’est la première fois  que j’ose  raconter mon  histoire. Je n’en parlais jusqu’ici qu’avec mon mari et mes enfants. Ma  mère  lit ELLE  toutes les semaines et si par hasard elle n’a pas ce numéro, je  m’arrangerai pour le  lui mettre  sous les yeux .  Maintenant que mon père est mort elle reste la seule dépositaire de la vérité et je me dis que grâce à cet article nous aurons  peut-être toutes les deux la  conversation que j’attends depuis si longtemps. Je le souhaite en tous cas. Pour moi  mais aussi pour elle, pour qu’elle puisse, se  libérer , elle aussi , de ce secret trop lourd à porter. 
ELLE/ 21 avril 2008/ Propos receuillis par Antoine Silber
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