lundi 5 mai 2008

C’est mon histoire: « J’ai passé quatre ans dans un palace… »

Candice était, depuis 2004, attachée de direction dans un hotel de luxe prés des Champs-Elysées. A 36 ans, elle vient d’en démissionner. Elle raconte la magie du lieu et ...L'envers du décor .





























J’ai travaillé pendant quatre ans dans un palace parisien dont je ne tairai le nom mais qui est situé tout prés des Champs Elysées. J’étais aux petits soins pour les clients, connus ou non, dont je veillais à satisfaire les moindres petits désirs et caprices. Pourtant j’ai tout envoyé promener, il y a quatre mois, fin décembre 2007. Sans aucun regret. C’ est l’ un des hôtels les plus luxueux du monde, un lieu raffiné et magique où tout est parfait et j ’aimais y travailler mais je n’en pouvais plus. Je devais être à disposition 24 heures sur 24. Je n’avais plus de vie. Je crois que je serais tombée malade si j’avais continué.



C’est mon grand père qui m’a donné envie de travailler dans l’hôtellerie de luxe. Quand j’étais petite, il m’emmenait passer des vacances dans un grand hôtel a Vevey, en Suisse, un palace a l’ancienne que j’adorais. Il était suisse. Moi, j’ai été élevée en Alsace. A 18 ans, je suis allée faire l’école hôtelière à Lausanne et j’ai ensuite travaillé une dizaine d’années dans différents hôtels parisiens. En janvier 2004, j’ai été recrutée dans ce palace comme attachée de direction. J’étais heureuse et fière d’avoir réussi à arriver jusque là , au top. Je concrétisais un rêve. 245 chambres, la moins chère à 850 euros la nuit; la plus belle, la suite royale à ….10.000 euros! On était 600 employés et cadres et pourtant, on avait constamment l’impression d’être en sous-effectif.. La pression est énorme . Parce qu’avec un tel niveau de prix, évidemment, tout doit être parfait.


J’étais la seule femme attachée de direction. On travaillait par équipes , par « shifts » de 10 heures qui se tranformaient en général en 12, 13 ou 15 heures. Je devais tout le temps être élégante, parfaitement coiffée et maquillée. Et rester souriante, quoi qu’il arrive. Je devais être plus que compétente: exceptionnelle….. Le crédo à ce niveau là, c’est : « Waouh me if you can !» (éblouis-moi si tu le peux !)



Dans mon contrat, il n’était pas écrit que je devais prendre la responsabilité de l’hôtel la nuit , mais on ne m’a pas donné le choix. J’étais l’interface entre la direction générale de l’hôtel et les employés, et la nuit tout passait par moi. Je travaillais cinq nuits par semaine. Ou alors 3 nuits et ensuite deux journées. En plus, je faisais souvent des « double shifts»: j’arrivais a 22 heures 30, j’étais censée terminer le matin à 8heures et demi mais si mon collègue se faisait porter pâle, je continuais toute la journée….A côté de ça j’étais payée de manière ridicule. Bien sûr il y avait les « tips », les pourboires (environ 700 euros par mois) mais mon salaire d’attachée de direction avec 13 ans d’expérience n’ était que de 3000 euros brut. Soit par mois, à peu prés 2200 euros nets!



Une femme, la nuit, ce n’est pas évident…D’autant que j’ai toujours fait plus jeune que mon age. S’il y avait un problème au bar, un client éméché ou qui faisait du scandale, on m’appellait et parfois, il fallait de la poigne! Je devais aussi gérer les problèmes de bruit dans les étages. Des clients du Quatar ou de Dubaï réservaient d’un coup 20 ou 30 chambres; si au milieu vous avez un client américain qui demande un peu de silence, qu’est ce que vous faites? Sans compter les problèmes de « NL », les « night ladies, »les prostituées. La politique de l’ hôtel est d’ enregistrer tout le monde, pour des questions de sécurité. Or beaucoup de ces night ladies sont des immigrées irrégulières qui n’ont pas de papiers d’identité. Impossible de les laisser monter. Et comment expliquer ça à un client qui paye dix mille euros sa suite et qui attend une fille?



J’ai aussi été responsable de l’acceuil des célébrités , des stars. J’en ai rencontré quelques unes plutôt difficiles, comme Madonna, toujours un peu lointaine et légèrement méprisante. Ou Mariah Carey, jamais satisfaite. Très exigente. Elle demandait un tapis de course devant sa télé, un miroir spécial pour le maquillage avec une chaise haute, plusieurs humidificateurs dispersés dans la suite (pour sa voix). Que ses fenêtres soient toujours opaques ,aussi . Elle est un peu parano, elle. Le pire dans la catégorie clients difficiles: l’acteur Russel Crowe, extrêmement capricieux et colérique.Une fois il a balancé un téléphone sur un concierge!



Cela dit, contrairement a ce que tout le monde pense, en général les stars sont plutôt plus agréables que les clients ordinaires. J’ai plusieurs fois acceuilli Céline Dion et je l’ai trouvée merveilleuse. Elle vous embrasse . Elle vous fait parler. Elle vous demande de disposer des lys ou du mimosas dans son salon. Travailler avec elle a été un bonheur! Autre personnalité vraiment adorable: Bill Clinton. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’attentions. Il sert la main à tout le personnel. Lui il veut des cigares cubains dans sa suite et il ne boit que du diet coke « on ice » IL est encore venu l’an dernier. Un mois après, j’avais une lettre de remerciement signée de sa main. « Dear Candice, Thanks so much. I was very impressed with the professionalism and expertise of your staff, and I'm grateful for your efforts…» Ca m’a fait très plaisir ! Et puis certains clients sont très généreux. On m’a offert des bijoux, des chocolats, un vase de baccarat. On peut vous aussi glisser 10O euros dans une enveloppe comme s’il s’agissait de 5 euros !



Pendant toutes ces années, j’ai travaillé comme une bête. J’ai beaucoup aimé ça, mais j’en ai payé le prix. J’étais de plus en plus déconnectée de la réalité. Un tourbillon vertigineux m’aspirait vers toujours plus de travail, toujours plus d’heures, toujours plus de stress. Je jonglais avec mes horaires délirants, je donnais tout à l’hôtel. Résultat: ma vie personnelle a tourné au désastre. Je me suis séparée de mon ami! Il était dans l’hôtellerie lui aussi mais ailleurs et de jour . Souvent, moi, je travaillais 60, 65 heures par semaine et du coup je passais mes jours de repos à dormir. Ce n’était plus possible, nous deux . En plus, j’avais des vertiges, des maux de têtes répétés. Je suis allée voir un médecin . Il m’a fait peur. Je me disais: A 35 ans, je n’ai pas de mari, pas d’enfants, et je suis en train de me ruiner la santé. C’est nul. J’ai pris une grande décision: changer de job, opérer une vraie reconversion de carrière.



Je voulais évoluer vers les RP. J’ai demandé un congé de formation et je me suis lancée dans un MBA en Communication, Médias et Evénementiel. 7 mois d’études pendant lesquels j’ai « quitté » provisoirement l’hôtel. J’ai décroché mon diplôme avec mention. Je suis retournée à l’hôtel avec l’idée de rester dans le groupe et de demander mon transfert au siège mondial, dans le service communication. Mais ma direction ne m’a pas soutenue. Au contraire, j’ai été transférée vers un poste moins rémunéré, avec des responsabilités moindres. Une sorte de disgrâce destinée à me punir. J’ai alors décidé de démissionner.


Voilà. Je voulais vous donner une idée de ce qui se passe dans les coulisses d’un palace parisien. Depuis décembre, je respire, je revis. Je voyage .Je vois plus ma famille, ma mère. Je vais au cinéma, je vois cinq films par jour. Je visite Paris en velib’. Je vais voir toutes les expos. J’ai aussi recommencé sérieusement à chercher un travail et j’ai pas mal de propositions. Mon ancien directeur général me regardait de haut: « Candice, me disait-il, vous n’allez tout de même pas prétendre changer de métier … ». Je lui répondais : « Si, et même sans piston…. Vous verrez ! » C’est ce que je suis en train de faire: quand vous lirez cet article, j’aurais probablement retrouvé un nouveau job , non plus dans l’hôtellerie mais toujours dans l’univers du Luxe. J’ai adoré mon métier mais je l’ai quitté et je ne regrette rien. Je tourne une nouvelle page de ma vie.

ELLE/ 5 mai 2008/ Propos receuillis par Antoine Silber

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