dimanche 2 mars 2008

c'est mon histoire "j'aime trop mes parents, c'est ça le problème ..."

A trente ans, Julie téléphone à ses parents deux fois par jour et, dés qu'elle a un chagrin d'amour retourne squatter chez sa mère. Elle raconte.





J’ai toujours été première en tout, première partout… Je voulais être parfaite. Faire ce qu’on attendait de moi. Quand je dis « on », je parle de mes parents, je n’ai qu’eux dans ma vie. Jusqu’au bac tout me paraissait aller bien. J’ai fait hypokhagne et puis j’ai présenté HEC et l'ESSEC . Et c’est là que tout s’est déréglé. J’ai raté et ça a été terrible. Je suis partie faire une ecole de commerce de province, pour moi, c’était la honte. J’avais 21 ans,j’ai commencé une psychothérapie. Je suis arrivée chez le psy, je lui ai dis: «je viens vous voir parce que je je voudrais savoir pourquoi j’ai un tel sentiment d‘échec» Il m’a répondu: «avant de vous demander pourquoi, racontez- moi comment….» « Pardon?» « Comment se passe votre vie…»


Je lui ai tout balancé, que j’étais fille unique, que j’avais toujours l’impression de ne pas faire assez bien, que mes parents m’avaient élevé avec l’idée que je devais être mieux que les autres. Ca a duré trois, quatre cinq séances comme ça. Je n’avais pas l’ impression d’avancer. Je le trouvais fermé, buté, ce psy. Il ne me donnait aucune piste. On est arrivé à la sixième séance. Je lui disais que dés que j’ouvre la bouche, mes parents avaient sur le visage cet air béat qui me laissait penser que j’étais un génie. Là le psy m’a arrêté: «Attendez , parlez- moi de votre mère…». J’avais choisi un psy- homme, parce que j’étais sûre que j’avais un problème avec mon père. Je me suis dit: « Il veut me brancher sur ma mère. NON. Je ne continuerai pas cette psy parce que je ne veux pas démolir ma mère…Sans elle, je meurs! »



A ce moment-là, j’étais avec un homme pas du tout fait pour moi. Ca, c’est ma spécialité! Il y en a un comme ça qui passe à portée, un qui va me rendre malheureuse à tous les coups , hop, c’est sûr, je le chope. Déjà lui, il était marié. En plus, il avait dix ans de plus que moi. J’ai réussi à le quitter mais j’ai eu du mal… C’était il y a 9 ans. Aujourd’hui j’ai 30 ans, j’ai eu beaucoup d’aventures depuis, mais le constat reste à peu prés le même. ….L’homme avec qui je suis en ce moment est plus âgé que moi, lui aussi. Mais de 7 ans, seulement et une chance il n’est pas marié. Je ne devrais pas me plaindre: avec Pierre, il s’appelle Pierre, c’est plutôt confortable. Le soir quand je rentre, il a fait à dîner. Je travaille dans une société de production télé, au moins douze heures par jour. J’aime mon boulot. Je réussis très bien . Lui il ne fait rien. Enfin, il fait de la video, c’est une sorte d’artiste. Alors il me fait la cuisine . Il est fou de moi. Il me dit que je suis la plus belle.


A première vue c’est l’homme ’idéal mais voilà, je ne suis pas amoureuse. Pas du tout . Pas plus de lui que de tous ceux qui l’ont précédé. « Amoureuse », je ne sais même pas ce que ce mot veut dire ! Du coup, j’ai des histoires à côté, mais ça ne débouche jamais sur rien non plus , ça le rend malheureux et moi ça me mine. Après, à chaque fois, je vais me réfugier chez mes parents. Dans leur maison de l’île d e Ré. Ou carrément chez eux à Paris. Je peux dîner trois fois par semaine avec eux. Parfois, je reste même coucher. J’ai toujours ma chambre !



J’aime trop mes parents, c’est ça le problème! Ca fait des années que je me dis ça, que je ne pourrais tomber amoureuse que si je décolle de chez eux . Je les appelle tous les jours! Ma mère, souvent deux fois par jour. En fait, je me sens encore très fille ,pas du tout femme comme elle. Elle est très féminine, ma mère ,toujours élégante . Elle me dit: «mais arrête de mettre des baskets et des sweet à capuche…» Ou : « Un jour ,il faut bien passer aux escarpins…» Elle a raison, elle a toujours raison: ça fait dix ans que je suis en en gazelle, en new balance, en Stan Smith !



Elle est chef d’entreprise. Et tellement géniale, ça fait presque peur. N’empêche, elle est toujours là pour moi. Dés que j’ai un problème, un texto ou un mail et elle me répond: « tu vas faire ci, tu vas faire ça » Ce n’est pas qu’ elle soit douce, ce n’est pas la maman câline, enveloppante. Elle,c’est plutôt: « allez , secoue-toi, tu ne vas pas te laisser abattre…» Mais même quand elle m’engueule, ça me réconforte. Ce que j’ aimerais, c’est continuer éternellement à me plaindre, à faire la fille, la petite fille à sa maman. Mes parents m’ont toujours adoré. Moi, j’aimerais rester leur fille toute la vie. Pour l’éternité….




Depuis quelque temps, je me demande si je ne vais pas quitter Pierre. Lui ne le sait pas encore mais eux, je le leur ai dit. Ils sont inquiets, d’ailleurs , ils l’aiment bien, Pierre. Il ne comprennent pas ma décision. Du coup, ils me bassinent avec ça chaque fois que je les vois. C’est le problème avec les parents soixante-huitards, ils veulent dialoguer et au nom du dialogue, ils vous communiquent leurs angoisses. « Tu es sûre de ce que tu fais, me dit mon père, Pierre c’est quand même un gentil garçon…» Ma mère elle, c’est carrément: «Mais alors, tu ne vas jamais arriver à te fixer? » Maintenant je suis moins réactive mais un jour elle m’avait dit ça, ou un truc comme ça et j’avais explosé: « J’en ai marre de ton jugement permanent. Tu crois m’aider et tu me casses »J’avais claqué la porte et j’étais partie . J’étais restée fâchée quatre mois.


A ce moment-là, j’en étais à ma deuxième psy. C’était une femme, je progressais. Avec elle ça n’avait pas duré longtemps, non plus . Je 'n avais pas pu aller à une séance .Ni à la suivante . Empêchée par le boulot . Elle m'a quand même fait payer les deux rendez vous . "Vous n'aviez qu'à vous débrouiller..."Je n'ai pas aimé son ton . Lorsque je 'lai revue, pendant tout l'entretien je me disais : " non seulement elle m'escroque, mais elle m'engueule, je vais la quitter . " En disant cela je me suis soudain rendu compte de ce qu'était le transfert: ce n'était pas elle que je voulais quitter, c’était ma mère.



Longtemps ,j’attendais que mes parents me lâchent . Je ne comprenais pas que c’était à moi d’arriver à être plus autonome . J’étais sûre qu’ils ne pouvaient pas se passer de moi. J’ai commencé a le comprendre avec ma nouvelle psy. La troisième. Elle s’appelle Anne. C’est probablement la personne la plus brillante que j’ai jamais rencontrée. Maintenant avec elle, je suis allongée, c’est mieux. Et je la vois deux fois par semaine . Hier pendant la séance, elle me disait:« N’oubliez pas : Dieu dit à Abraham: quitte ton père et ta mère… Ce sont les fondamentaux. » Elle me citait la bible, je n’en revenais pas. J’avais l’ impression d’être à la messe. « Abraham, le premier des prophètes , notre père a tous ….» continuait-elle. Je suis sortie . J’étais contente. Je me sentais enfin sur la bonne voie .

Cela fait quelque temps,maintenant, que j’ai décidé d’ inverser les priorités, de conduire ma vie selon mon désir et plus en suivant celui de mes parents, ou ce que je crois être celui de mes parents. Le problème pour moi n’est plus d’être une bonne fille, la fille parfaite, ce qu’il faut c’est que j’arrive à être heureuse. J’ai compris ça le jour de mes trente ans, en décembre dernier, il n’y a pas longtemps. Mes parents m’avaient organisé mon anniversaire chez eux. Il y avait là ma tante, la mère de Pierre, ma grand mère et d’autres . Je regardais toutes ces femmes . J’étais chez mes parents et je me sentais d’un seul coup comme une invitée, c’était la première fois que j’avais cette impression.

Marta ,une de mes meilleures amies m’a alors dit:« Moi à ton age, j’étais mariée,j’ avais déjà 2 enfants ». Elle a trente-quatre ans, elle. Mais oui, j’ai pensé aussitôt , elle a raison. Ca ne va pas, ça, ça ne va plus . J’ai trente ans. Je ne suis plus une enfant . Je ne veux plus que mes parents dirigent ma vie ,qu’ils continuent de me fêter mon anniversaire comme ça . Là, c’est trop. J’arrête. Je les ai regardés tous les deux, à l’autre bout de la pièce. Ils avaient l’air bien, tranquilles. Heureux . Ils allaient sûrement pouvoir se passer de moi, maintenant.


ELLE. /3 mars 2008/ propos receullis par Antoine Silber

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