vendredi 18 janvier 2008

« A 25 ans, je n’avais encore jamais fait l’amour ….»

J'étais une "mademoiselle je sais tout". Et pourtant tellement timide. Perdue. Désemparée…..J'avais des amis mais jamais de petit ami . Et comme j'aurais préféré mourir plutôt que de l' avouer je m'enfonçais dans le mensonge. Je me barricadais. Je faisais fuir tout le monde.


Pierre ne m' attirait pas particulièrement. J'aimais discuter avec lui, c'est tout. Je vis en coloc. On est trois. Moi avec deux garçons. Il était l'ami d'un de mes coloc'. On faisait des soirées , des tas de gens débarquaient. Il y en avait qui restaient, qui dormaient dans le salon. Il était consultant en informatique. Brun, la peau mate. Un petit bouc. Ni beau, ni moche. Entre les deux. Ca n'a pas été un coup de foudre ni le prince charmant.
Mais je me disais que c'était un type bien ,qu'avec lui c'était possible.


J'allais avoir 25 ans, je n'avais encore aucune expérience sexuelle. De toutes façons c'était une question de survie ! On est sortis ensemble, c'était déjà un rancart, mais il ne s'est rien passé. La deuxième fois, c'est moi qui ai pris l'initiative. Je lui ai dit: « allez, on s'embrasse». Après il m'a dit: « ce que j'ai bien aimé, c'est que tu as été directe.. »



Rouler une pelle, embrasser vraiment , je ne pouvais pas. Ca me degoûtait. Et pour lui non plus, au début, ça n' était pas une relation confortable, fluide, évidente. Mais « ça » s'est quand même passé …. IL était là, un soir, à l'appartement. Je lui dis: « si tu veux, tu restes dormir ». J'ai essayé de me saouler, avant. Au Porto. Et on s'est retrouvés tous les deux dans mon lit. Je ne lui avais pas dit que je n'avais aucune expérience et il ne s'en est pas aperçu . Naturellement ça n'a pas été top. J'étais si stressée de toutes façons que ça ne pouvait pas être bien. Mais le lendemain, on a recommencé. Je me disais : il ne faut pas que je reste sur le « je ne suis pas contente!» Le week end d'après, on l' a encore fait. Et très rapidement, c'est devenu pas mal.



J'étais contente mais un peu surprise quand même que ça ne change pas plus ma vie. Pendant des années, ça avait été si difficile! J'habite à côté de Versailles, je viens d'un milieu très protégé, cathôlique. A l'école,j'étais le genre première de la classe. Le collège où je suis allée , c'était un peu l'école pour les filles de bonne famille de la région: pas de garçons, bien sûr! Au lycée: que des filles, encore! Sortir, ce n'était pas la norme et puis j'étais terrorisée à l'idée de me retrouver au milieu de garçons inconnus. En première, j'ai demandé à ma mère à être interne. Je faisais du grec, du latin. J'étais dans un groupe de filles très bosseuses. On lisait beaucoup.Un livre par semaine. Entre 30 et 40 par an. Une fois, j'ai compté.Il y a des filles qui comptent les garçons qu' elles épinglent sur leur tableau de chasse, moi je comptais les livres.





Coucher avec des garçons, ce n'était même pas tabou, juste très loin de notre univers. La vie sentimentale, on n'y pensait pas. On disait: ce sera après. C'était l'éducation comme on l'imagine il y a cinquante ans et pourtant ça se passait il y a seulement quelques années . Je suis entrée en médecine. Mes parents sont tous les deux médecins. Mon père, pneumologue. Ma mère, anatomopathologiste. Là, à la fac, je n'étais plus du tout dans la norme. Je me retrouvais tout d'un coup propulsée "une des plus belles filles de la promo" alors que je ne m'étais même jamais rendu compte que je pouvais être jolie . Tout le monde sortait, faisait la fête, couchait à droite à gauche, et ça me foutait la trouille. A l' hôpital, les internes me tournaient autour (enfin pas tous non plus, je ne veux pas que l'on croit que je me vante). Je ne pouvais pas avouer mon inexpérience, j'avais trop honte. Du coup , j'avais la réputation atroce d' une fille hautaine, qui se la pète, qui snobe tout le monde alors que j'étais juste terrorisée.



En troisième année, je n'en pouvais plus d'être seule. Je ne voulais plus de cette vie. Ce n' était pas seulement la vie sentimentale qui n'allait pas, toutes mes relations avec les autres. Après les vacances de février, je revenais du ski, j'ai craqué, je suis allée voir un psy. Un psychiatre chez qui se retrouvait toute la bonne bourgeoisie de Versailles et de ses environs. J'étais persuadée qu'il allait me rire au nez , lui qui soignait des gens vraiment malades.Il ne m'a pas ri au nez ! La première séance, il m'a fait décrire ce qu'était ma vie. La deuxième, il m'a posé des questions sur ma mère. Je me rappelle, je ne savais pas quoi dire . J'étais bien trop fière pour admettre quoique cesoit, que je puisse avoir peur de quelque chose, ou que je pouvais être vulnérable . Lui laissait s'installer de longs silences pour me pousser à me dévoiler. Une vraie torture. Plus tard il m'a dit qu'au début, j'avais l'air d'un jeune animal aux abois et qu' il avait dû faire attention à ne pas me brusquer de peur que je m'enfuie.



Je suis restée six mois en thérapie. J'y allais tous les 15 jours. Certaines séances, je sortais en pleurant. Personne ne le savait. Pas même ma mère. Après quand je le lui ai avoué, elle a été soulagée. Elle voyait bien que j'étais mal, que je n' y arrivais pas seule. Ca a été dur. Il a fallu que je m 'implique, que je me mette en danger. Toute ma vie je m'étais heurtée à des murs que je me construisais pour mieux me protéger. Il a fallu que je les démollisse peu à peu, que j'élargisse mon espace intérieur.



En six mois, j'ai eu l'impression de me libérer. Les dernières séances, j'ai dit à mon psy qu'il fallait que j'arrête, pour aller de l'avant toute seule. Il a compris. Je me sentais plus détendue, mes rapports avec les autres étaient plus cool. Avoir des relations sexuelles n'était plus autant un enjeu. Je pouvais dédramatiser. Je m'apercevais aussi que je n'étais pas seule dans mon cas: beaucoup de filles, beaucoup plus qu'on ne le croit, n'ont encore jamais couché avec un garçon à 24, 25 ans ou même plus tard. C'est aussi pour elles que je témoigne, pour que celles-là se sentent moins seules.





Quand j'ai commencé à sortir avec Pierre, l'angoisse de ne pas pouvoir ouvrir la bouche a commencé à disparaître. Le dégoût est parti peu a peu lui aussi, assez rapidement finalement. Et le plaisir est apparu. Même si ça a pris plus de temps… Je m'étais interdit de rompre avant un mois. Je me disais qu'on m'avait souvent jugée trop vite, qu'il fallait que j'apprenne à composer, que je laisse un peu sa chance à la vie. Au bout d un mois, j'étais vraiment bien avec Pierre, je n' avais plus aucune envie de le quitter. Il y avait moins d' angoisse. Je pouvais me dire: « Si ça ne marche pas, je pourrais toujours aller avec un autre… »




Aujourd'hui, sept mois après, c'est de mieux en mieux. Je suis trés amoureuse. Je pense qu'il l'est lui aussi mais il n'y a pas de garantie. En tous cas, il a l'air bien avec moi. Il me dit tout le temps que je lui manque. Je ne sais plus qui a dit qu'il n' y a pas d'amour, juste des preuves d'amour et moi j'en ai des tonnes. Je travaille beaucoup, jamais il ne me le reproche. Le nombre de soirées où, à 11 heures, je lui dis que je dois aller travailler ! Le nombre de concerts aussi qu' il a ratés pour moi,juste pour être avec moi. Et puis ce qui me plaît chez lui, c'est qu'il est le genre qui n'oublie jamais la date (et même l' heure) à laquelle on a commencé à sortir ensemble . Il la fête chaque mois.

Il travaille à Dijon. On ne se voit que le week-end, mais ça vaut peut être mieux. Si au début, il avait été là tous les jours, on aurait sûrement cassé très vite. La distance, le temps a facilité les choses, même si maintenant c'est parfois dur de n'être pas tout le temps ensemble. Je suis maintenant en deuxième année d' internat dans un hôpital à Paris. En semaine,il me manque, je lui manque, mais ce n'en est meilleur, le vendredi, quand on se retrouve. Je me spécialise en chirurgie, j'en ai encore pour trois ans. Ce qui se passera après? Je ne sais pas. On verra. On a le temps de voir.



ELLE. 3 septembre2007. . Propos receuillis par Antoine Silber

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