vendredi 18 janvier 2008

"J'avais tellement peur de perdre mes cheveux "

« C'est la maladie de Hotchkins. Entre 4 et 6 mois de chimiothérapie. Et de la radiothérapie derrière ! » A l''hôpital, la première fois, le professeur d'hématologie n'y est pas allé par quatre chemins. « Et vous allez perdre vos cheveux aussi. Je vous conseille de les couper …. » Ca, c'était le pire: j'avais les cheveux très longs, je venais juste de les laisser pousser. Alors est-ce que j'allais devoir mettre une perruque?
Je suis allée en essayer. Je me rappelle, on me présentait toutes sortes de faux cheveux, je les étalais sur mes genoux, je me disais:« non, ce n'est pas possible! Je ne veux pas de perruque, je préfère me mettre un foulard ! Et quitte à perdre mes cheveux , autant assumer et me les couper tout de suite ! ». Le lendemain, je suis allée voir ma coiffeuse. Je ne lui ai pas dit pourquoi je voulais revenir aux cheveux courts. Laurent m'avait accompagnée, il était là, à côté de moi. Il me tenait la main. Il était gentil : à la fin, quand il a vu le résultat, il m'a dit: « Ca te va bien. D'ailleurs, je t'ai toujours préférée les cheveux courts ! »
C'était l'an dernier, en septembre.
On revenait du Japon. Laurent et moi, on avait créé notre boîte en 2005 . On s'était mariés en mai 2006. Là, on venait de passer un mois, sac au dos, autour du Mont Fuji. 10 heures de marche par jour! J'avais des ganglions dans le cou, j'avais beaucoup maigri mais je ne m'inquiétais pas. Je vais faire un scanner. Le premier médecin que je vois me dit: « vous avez un lymphome. » « C'est quoi ? ». « Une tumeur» « Pardon? » Il me dit ça de but en blanc. Je n'avais que 28 ans. Jusque-là je me raccrochais à l'idée qu'à cet âge rien de vraiment grave ne pouvait m'arriver.
Et d'un seul coup, ma vie s'arrêtait.
Le traitement a commencé quinze jours après, le 2 0ctobre. Par une biopsie. Ca ne fait pas encore trop mal, ça. Après, ça a été la chimio. Les choses vraiment sérieuses .
La première séance , j'y suis allée en taxi avec ma mère. Je flippais , je me souviens. Laurent était en déplacement, mais au téléphone il essayait de me rassurer. La chimio, c'est la première séance la plus difficile. Après le corps s'habitue. En tout,j' en ai eu huit, une tous les quinze jours. Ma mère venait avec moi quasiment chaque fois. J'arrivais à 9 heures, on me mettait une perfusion, on m'envoyait un médicament trés fort dans le corps et je repartais vers 15 heures. Ce qui était super-dur en fait, c'était d'être dans une chambre double, avec une autres patiente.Des filles en rechute ,en général… Je ne voulais pas les entendre, elles me faisaient peur. Elles me regardaient de côté et glissaient à ma mère: « mais elle est si jeune…». Je me protégeais comme je pouvais, en me plongeant dans un bouquin ou en me cachant la tête dans mon écharpe.
Un jour, ma mère m'a dit: « je donnerai tout pour que ça me soit arrivé à moi plutôt qu'à toi…. »
Apres les séances, j'avais des nausées, l'impression que j'allais vomir mes tripes. Je dormais 15 ou 18 heures mais je me réveillais souvent. Et en sueur. Laurent se réveillait avec moi. Des que j'ouvrais les yeux, il les ouvrait derrière moi. Quand je pleurais, il pleurait avec moi. Il s'inquiétait, ça m'émeut quand je me rappelle. Il était aussi angoissé que moi, mais paradoxalement ça me faisait du bien, ça me donnait de la force.
Je le sentais avec moi. Je me disais qu' il fallait que je guérisse pour lui, pour nous. Pour ce qu'on faisait ensemble. Tous les deux , on s'est rencontrés en 2001, j'étais encore hôtesse à Air France et lui consultant d'entreprise. Avoir créé notre entreprise ensemble ,c'est toute notre vie. On venait de doubler notre chiffre d'affaires, je ne voulais pas voir détruit tout ça, je n' en avais pas le droit.
J'étais en arrêt maladie mais je continuais à travailler. Je me levais le matin, je ne voulais pas me considérer comme une malade. Comme ce mot de cancer, je ne l'ai jamais prononcé….
En novembre, Laurent a beaucoup été en déplacement. Lionel, mon frère, m'a proposé de venir dormir chez lui, il ne voulait pas que je reste seule. Il me regardait, il me voyait me déplumer, il me disait :« je vais t'offrir de super foulards…» Je prenais conscience tout d'un coup de la place que j'avais dans ma famille: je sentais mes parents tous les deux tellement à mes côtés. Comme Isabelle, ma cousine qui m'envoyait des messages: " je suis avec toi. Si tu as besoin que je vienne t'aider a la boîte, j'arrive…"
A partir du moment où tout a commencé, ils m'ont tous, sans arrêt, tirée vers le haut.
Mes cheveux ont tenu jusqu'en décembre. Je les perdais, mais ça allait, ce n'était pas par poignées, non plus. Le matin quand je me réveillais, j' en retrouvais quelques uns sur l'oreiller et quand je me regardais dans la glace, je me découvrais de nouveaux trous sur la tête. J'ai commencé à mettre un foulard. Je me disais: « il faut que je tienne avec mes cheveux jusqu'en décembre, jusqu'à l'anniversaire de mon frère …»
Le 15 décembre: bilan à mi-parcours, nouveau scanner. J'avais super peur. Heureusement, c'était trés positif. J'étais réceptive au traitement. Le soir, j'ai envoyé un mail à tout le monde: « Le père Noël est arrivé en avance ! »
J'ai arrêté la chimio fin janvier 2007. Un mois de break, et puis la radiothérapie a commencé. Là, on vous envoie des rayons sur les zônes touchées pour consolider le travail fait par la chimio. J'y allais tous les après- midi. Deux minutes à l'hôpital et c'est tout, mais c'est très astreignant parce que c'est tous les jours. J'étais sensée avoir des marques de brûlure sur la peau, mais non, rien. Ca m'a fait juste un peu mal a la gorge comme quand on a une angine .
Le 1er avril, Isabelle, ma cousine a décidé d e faire une réunion de famille pour fêter « la fin des hostilités » comme elle a dit. Laurent, mon père, ma mère, mon frère Lionel et son amie et tous ceux qui s'étaient inquiétés pour moi étaient là. Mon père m'avait écrit un petit mot hyper-touchant. Il citait un proverbe chinois: « qui triomphe de soi-même connaît la force !» Ils s'étaient tous cotisés pour nous offrir à Laurent et à moi un dîner chez Nicolas Le Bec, le restaurant a la mode en ce moment à Lyon.
Je regardais Isabelle qui avait organisé cette fête. Je me demandais si j'aurais fait pour elle ce qu' elle a fait pour moi. Il fallait que je leur parle à tous. Je les ai remerciés, du mieux que j'ai pu, du fond de mon cœur. Mais ce n'etait pas encore assez: il fallait que je les remercie encore , dans mon magazine préféré . Le soir de cette fête, Laurent m'a dit: « tu vois comme les gens t'aiment ! » On est trés proches, très complices. Souvent je me dis qu'on est plus qu'un couple…. Déjà travailler ensemble nous avait rapprochés. Mais on peut bien connaître une personne et la re-découvrir en face d' un événement comme celui-là. Je pense que j'ai une grande chance de l'avoir rencontré.
L'autre vendredi, je suis retournée a l'hôpital pour un dernier examen, un scanner. J'avais encore très peur mais je suis rassurée maintenant. La maladie a été prise à temps, les ganglions touchés paraissent de nouveau sains. En plus, leur dissémination n'a pas dépassé une certaine limite, je ne risque pas de ne pas pouvoir avoir d'enfant. Je suis guérie a 100%. Enfin, à 99%..
Dans les deux prochaines années, la maladie peut toujours revenir, oui elle peut revenir, j'ai toujours cette épée de Damoclès au dessus de la tête, mais je suis sereine.
Mes cheveux repoussent. J'ai abandonné le foulard pour le bandeau. Il y a huit jours,je suis retournée voir ma coiffeuse. Je suis redevenue une femme normale. Je n'ai plus de médicament dans le corps. J'ai eu une année difficile mais cet été , Laurent et moi, on repart en voyage. Soit aux Etats Unis , soit en Thaïlande.
J'aimerais bien la Thaïlande mais on hésite encore : il y a peut-être trop de soleil. Pour moi, le soleil, ce n'est pas trés bon.

ELLE. 4 juin 2007 . C'est mon histoire. Propos receuillis par Antoine Silber

Aucun commentaire: