vendredi 18 janvier 2008

" Depuis que mes filles ont perdu leur père ...."

Avec elles, il est resté le même jusqu'au bout. Très aimant. Et en même temps très exigeant. Il voulait qu' elles soient les premières de leur classe. Qu'Alice travaille davantage son piano. Qu'Elisa fasse un effort pour se tenir bien à table . Il était dur avec elles , il se mettait en colère. Moi je calmais le jeu, j'ai toujours fait ça , c'était comme si j'étais là pour ça.


Il était responsable des ventes d'une grande marque automobile, il passait la semaine à Paris et revenait le vendredi soir dans l'Est où nous habitions . Le samedi matin , quand elles étaient a l'école, il jardinait. Il aimait tailler les rosiers, mettre des pots partout, faire des terrasses. Il nous construisait tous les ans une nouvelle terrasse ! L'après -midi, il emmenait les filles acheter des BD, de la science-fiction. Le samedi soir était pour ses copains, il voulait toujours du monde à la maison , il aimait rire , faire rire et il buvait pas mal. Pascal était un homme excessif mais généreux. On est restés mariés dix sept ans et en trois mois, tout a été fini.



Il est rentré de Paris comme d'habitude, un vendredi soir à huit heures et demi. Il se sentait mal. Le lundi il est allé faire des examens à l'hopital. On lui avait enlevé quelques années plus tôt un mélanome, un vilain grain de beauté, ça s'était réveillé . C' était en juin, il y a deux ans. On était à la veille de la fête des pères. Le médecin m'a dit : « il y a des métastases dans la paroi abdominal. Il n'y a plus d'espoir ……»


Elisa , la plus petite des filles avait 9 ans, elle en a aujourd'hui 11 . Elle tient de lui , elle est hyperactive, très rentre-dedans. Alice , la grande qui vient d'avoir 16 ans est plus posée, un peu comme moi . Dés le début, je leur ai dit la vérité .Elles me demandaient : « Est-ce qu' il va mourir ? » Je leur répondais : « Les médecins font ce qu'ils peuvent… » Lui ne s'est jamais rendu compte que sa vie était en jeu, il ne voulait pas voir que ce n'était plus qu'une question de semaines . Il prenait de la morphine pour ne pas avoir mal. En juillet, j'ai commencé à faire attention à ce que ses copains continuent de venir régulièrement à la maison . L'été a passé comme ça, doucement.


Il est entré a l'hôpital début septembre , quinze jours avant de mourir . Il était encore sûr qu' il allait s' en sortir. A la fin de la première semaine, le cancérologue m'a dit : « Il faut qu'il rentre chez vous ce week end pour qu'il parle a ses filles, parce que lui va partir et qu'elles vont rester ! ». Je savais qu'il n'en avait plus que pour quelques jours, j'avais autorisé les médecins à augmenter les doses de morphine. Le jeudi matin de la deuxième semaine , on était le 21 septembre, je suis allée chercher les filles pour qu' elles viennent à l'hôpital lui faire « un énorme câlin » . Le dernier. Il était dans les vapes mais il a reconnues et il les a serrées dans ses bras, . Ensuite on est rentrées toutes les trois à la maison et on a attendu. Elisa me demandait : « C'est sûr qu'il va mourir ? » « oui ». « J'ai honte de dire ça mais j'ai hâte que ça s'arrête ….» « Tu n'a pas à avoir honte, c'est normal ! »


On se relayait a l'hôpital , ma belle-s--ur et moi. Le vendredi soir, elle m'appelle , à 11 heures: « Il est mort ! ». Elle me l' a dit comme ça et elle a eu raison, il ne faut pas avoir peur de ces mots là. Je suis allée dormir, ça tournait dans ma tête, vous imaginez. Le samedi matin, j'ai réveillé les filles. J'ai employé les mêmes mots: «il est mort ». Alice avait cours « qu'est-ce que je fais ? » « Comme tu veux . Soit tu restes a la maison. Soit tu mets un pied devant l'autre, et tu y vas …» Elisa avait prévu d'aller à la piscine avec une copine. Elle pleurait mais elle y est allée quand même, elle aussi.


A l'enterrement, ma belle s--ur a joué du violon. C'était faux comme pas possible , ça résonnait dans l'église. On pleurait et on riait. L'humour c'est si important quand tout va mal ! Alice et Elisa ont lu la chanson de Linda Lemay « le plus fort c'est mon père ». Je les écoutais,je les regardais , j'étais fière de mes filles . Moi, j'avais choisi un texte d'un moine irlandais intitulé « l'amour ne disparaît jamais »


Les semaines qui ont suivi, chaque fois que je les sentais tristes ou énervées, je leur expliquais que c'était dur mais que peu a peu ça irait mieux. Leur père n'était plus là physiquement mais elles l'avaient en elles maintenant, elles avaient eu une chance inouïe d'avoir eu un père aussi attentionné, il leur avait donné des pistes des directions, toute leur vie elles pourraient se dire : « mon père m'a aimé plus que tout ». D'accord c'était un horrible râleur mais il leur laissait aussi de merveilleux souvenirs. Elisa trouvait cette mort « injuste ». Quand elle pleurait, je lui disais qu'elle avait le droit de pleurer ,mais que la colère, ça ne sert à rien. J'essayais de la faire rire . Je l'ai envoyée voir un sophrologue. Tout l'hiver, je lui ai expliqué que si l'on cherche le grand bonheur on ne le trouve jamais mais que si l' on ajoute les petits moments de bonheur les uns aux autres, on s'en sort, on finit par yu arriver . Un jour , je lui ai dit de noter dans un carnet trois choses qui l'avaient fait sourire dans la journée. Et de refaire ça tous les soirs. Ca a été très efficace.




L'été est enfin revenu. Moi, j'ai rencontré un autre homme: Fabrice. Complètement différent de Pascal, on ne peut pas imaginer plus différent. Calme. Réfléchi. Deux enfants lui aussi , deux grands garçons. Et confronté au même drame que moi : sa femme etait morte d'un cancer deux ans plus tôt. Notre histoire s'est noué en juillet, l'an dernier ,. Il habite Bruxelles, je suis retourné le voir en août. Il faisait chaud, nous avons beaucoup parlé, fait et refait l'amour et c'était merveilleux . Je lui disais: « S'il a fallu endurer tout ça pour arriver à ce moment de bonheur, je ne regrette rien, ça valait le coup….»


Petit a petit c'est devenu évident que nous allions le rejoindre là bas. Alice, Elisa et moi. Toutes les trois . C'est une décision qu'on a prise ensemble. Elisa m'a dit : « C'est bien que vous vous soyez rencontrées par hasard tous les deux ! » C'est vrai, c'était important pour elles que je n' ai pas cherché a tout prix a remplacer leur père .


Mes filles sont géniales :elles vivent ma nouvelle histoire d'amour tout a fait sereinement . Alice à 16 ans , son bonheur maintenant, c'est elle qui se le crée. Elle passe en première et elle est très brillante. C'est une passionnée d e théâtre. Pour son anniversaire , je lui ai offert un I pod. Elle m'a demandé de faire graver dessus « Don't worry, be happy ! » . Elisa, elle, rêve de voyages, d' aller en Australie, de voir des koalas. Elle entre en 6eme et son bonheur à elle passe encore par le mien. Aujourd'hui, toute notre vie change. Je sais que ce n'est pas facile pour elles : Alice va changer de lycée, quitter ses copains, il va encore falloir qu' elle soit forte, mais elle l'est, j'ai confiance .



Je ne dirais pas que je refais ma vie, je la continue avec un autre….. J'ai vécu dix-sept ans avec Pascal et maintenant il y a Fabrice . Dans notre village, quand j' ai dit aux voisins qu'on les quittait pour aller vivre à Bruxelles, ils ne comprenaient pas, ils ouvraient de grands yeux. J'ai démissionné de mon travail en mai. Nous venons de déménager. Nous sommes en train de nous installer à Bruxelles. Nous allons vivre à six dans une grande maison. Les deux gamins de Fabrice, mes deux filles, le chien et le chat. Et ça va encore être une autre histoire! Pendant trois mois, quand Pascal était en train de mourir, j'avais l'impression de vivre une guerre. Ces deux dernières années, la guerre continuait mais c'était une autre guerre, une guerre pour mes filles . Cette guerre-là n'est pas finie, elle ne le sera que quand lice et Elisa auront complètement retrouvé le goût du bonheur. Et réappris à rire.

ELLE/ 23 jullet 2007/ Propos receuillis par Antoine Silber

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