vendredi 18 janvier 2008

"J’ai vaincu la malédiction de l’émeraude...

Longtemps, j'ai détesté les bijoux. Surtout les bagues. Les émeraudes . Je n'aimais pas le luxe. Je me méfiais de ce qui était cher. Quand j'étais petite, à la maison, les périodes fastes alternaient avec les vaches maigres, on ne savait jamais de quoi seraient faites les fins de mois. C'était très destabilisant. Ca m'a marqué. En plus il y avait eu cette malheureuse affaire de l'émeraude perdue par ma grand'mère Rose et ce qui s'en était suivi. Une vraie malédiction.


Rose, je ne me souviens pas d'elle. Elle est morte je n' avais même pas quatre ans . Mais quand je la vois sur les photos, si jolie, avec ces si grands yeux bleus, je me reconnais en elle. Une femme trés moderne .Elle avait perdu sa bague de fiançailles et ça avait été un drame,on en parlait encore des dizaines d'années après. Une superbe émeraude entourée de diamants. Quand elle s'est mariée, ma mère a , à son tour, reçu une émeraude . La même que sa mère, avec des petits diamants autour. Et elle l' a aussi perdue….. Enfin, on, la lui a volée. On habitait avenue Carnot , prés de l'Etoile.J'avais 13 ans. Un cambriolage. De cette épisode , en revanche, je me souviens bien .



On revenait toutes les deux à la maison un dimanche soir. La porte de l'appartement était ouverte. Elle dit: « mais qu'est ce qui se passe ? » Elle va vers le petit secrétaire en marqueterie du salon. Il était ouvert, les tiroirs avaient été forcés. Elle hurle : « On m'a tout volé ! » Disparus, son collier de perles. Ses chaînes. Ses médailles en or. Disparue sa bague ,sa fameuse émeraude. Tout d'un coup elle se met a rire. « Ils ont dû être déçus, elle était fausse ». Je voyais cette bague au doigt de ma mère depuis si longtemps , je tombais des nues, moi . C'est ce jour-là que je l'ai appris : mon père, traumatisée par la perte de l'émeraude de sa mère lui avait offert une fausse pierre .Avec de faux diamants. Aujourd'hui on a l'habitude des bijoux fantaisie, ils s'affichent comme tels, mais à l'époque, c'était en 1967, je ne comprenais pas. Qu'on laisse croire à tout le monde, surtout, qu'il s'agissait d'une vraie, ça me révoltait. Je ne supportais pas ces horribles codes bourgeois qui légitimaient le mensonge.




En 1974, ma s--ur Catherine se marie à son tour. On lui offre aussi une émeraude . Une vraie cette fois, « en souvenir de Grand'mère Rose ». Et l'histoire se repète ! Un soir, elle va dîner dans un resto de Saint germain des Prés. Elle descend au lavabo se laver les mains.Elle enlève sa bague , la pose sur le rebord et elle l'oublie. On ne la retrouvera plus jamais! Ca faisait tout de même trois émeraudes qui disparaissaient dans la famille! Moi, du coup, j'étais vaccinée.


Je me suis mariée deux ans après . Il était question que la mère de mon mari, m'offre une bague .J'ai crié : « Non ! Surtout pas ! » J'ai évité l'émeraude mais le diamant,je n'ai pas pu. J'ai eu droit à un solitaire que je me suis empressée de mettre au coffre. Cette bague, le seul bijou de valeur que j'ai jamais eu, je ne lai jamais aimée. J'ai dû la porter dix fois dans ma vie : quand j' allais voir ma belle mère. Je vivais tout le temps en jean, pull et basket.Avec ça, un solitaire ,de toutes façons, ça n'aurait pas été. Je portais bien des bijoux ,mais sans valeur: des breloques, des pendentifs, des trucs indiens ou brésiliens . Et chaque fois que Serge, mon mari me disait « je pourrais peut être t'acheter une bague, une chaine, un bracelet. Qu'est ce que tu préfères ? »je lui répondais « Offre moi plutôt un voyage à Florence …. »








Je ne suis pas une femme à bijoux. Trop d'or,trop de bracelets,trop de gling gling,ça m'horripile. Je trouve ça déplacé, vulgos. Une amie à qui j'en parlais me disait: « Je ne sais pas si j'ai le goût sûr , mais j'ai le dégoût sûr …». Elle me citait une fille: « Tu veux que je te dise ? Elle est pleine d'or …» Pour elle, ça voulait tout dire . C'est vrai: l'élégance, c'est toujours ce qui ne se voit pas. Jamais ce qui brille, ce qui clinque.


Il y a cinq ans, Serge, mon mari est mort d'une longue maladie comme on dit. Un an après, je déménageais. J'avais besoin d'argent pour payer mes travaux, j'ai vendu mon solitaire . 8500 euros. Cash. C'était facile. Payant. Je suis allée a Drouot, j'ai déposé ma bague , trois semaines après, je pouvais régler mon électricien. Je n'avais aucun regret , elle était à moi, j'avais le droit d'en faire ce que je voulais. Je me disais : « Finalement, les bijoux ça sert à ça . C'est un truc pour les mauvais jours, une sécurité ! ».


Je suis restée quatre ans seule. Je sentais peu a peu, à des petits riens, que je pouvais de nouveau plaire. J'avais envie de soleil, envie de nuits passées à danser. Un nouvel homme est entré dans ma vie :Sylvain. Un soir il est arrivé à la maison avec une pierre toute simple, toute belle, une sorte de topaze ciselée au bout d'un lien en cuir . Il me l'a aussitôt mise autour du cou et je ne savais pas ce qui m'arrivait , quelque chose de très nouveau, d'inconnu, une sorte d'onde de plaisir m'envahissait. Ce n'était pas une pierre précieuse , juste une très jolie pierre qu'il n'avait pas payée une fortune, que je pouvais donc porter sans stress, sans angoisse. Ca changeait tout.



Au bureau , le lendemain, tout le monde me disait « mais quelle est jolie, cette pierre, c'est quoi? ». J'avais l'impression d'avoir vaincu le signe indien. Les bijoux n'étaient plus mes ennemis. Jusque là j'avais toujours été incapable de recevoir un cadeau , un hommage. Comme si je ne méritais ni cadeaux , ni hommages. Je découvrais d'un seul coup ce qui fait le vrai prix d'un bijou: ce lien que l'homme qui vous l'offre veut créer avec vous . Un bijou ce n'est pas seulement de l'argent, c'est de l'amour. Je n'avais pas le droit de refuser ça!



En mai dernier, pour fêter le premier anniversaire de notre rencontre, on est allés , Sylvain et moi, passer une semaine à Poros, , une petite île tout prés d'Athènes. Sylvain est fou de la Grèce . Comme moi. C'est d'ailleurs ce qui nous a rapprochés. Là on était juste nous deux , ensemble, et on avait l'impression de redécouvrir ce pays , ces paysages , ces maisons , ces couleurs. Ces gens si merveilleux. Comme si, avant, on n'avait rien vu, rien ressenti. .



Un soir on se promenait sur le port, on est entré dans une boutique. Je m'extasiais sur un collier de petites pierres brutes, d'un bleu qui me paraissait familier, du lapis azuli. Il me dit : « je te l'offre ». Moi, tout de suite: « non, non, c'est trop cher». « Si pas de problème…». Il n'avait pas sa carte de crédit sur lui. « On reviendra demain. » Je me disais que je n'allais pas lui en reparler, que j'allais laisser faire, qu' il oublierait. En même temps j'attendais , je sentais que c'était un moment important pour moi, pour nous. Ce collier, je le voulais! Le lendemain on partait dîner, il dit « on va repasser a la boutique d' abord ». J'étais si émue, vous ne pouvez pas imaginer !


Et s'il m'avait offert une émeraude? Ou un très beau solitaire? Je préfère ne pas imaginer. Là, la vendeuse a dit: « ce sont des pierres qui viennent d'Afghanistan….» Et ces pierres-là , tout d'un coup me paraissaient avoir du sens. Elles étaient bleus comme la mer, bleus comme la Grèce, bleus comme j'aime. Il ne s'agissait pas d' un placement pierre. Ce n'était pas un bijou de famille qu' on se transmet de mère en fille, de belle-mère en belle-fille. Pas une émeraude, non plus. Juste le cadeau de l' homme que j'aime, qui m'aime et me le prouve.



Ce collier, aujourd'hui, je ne m'en sépare plus, je ne pourrais plus vivre sans. Je le regarde, je le caresse, je le trouve beau. On me dit qu' avec je suis canon. Et je suis tout étonnée de ne pas être plus gênée que ça. Je rougis juste un peu quand on me demande qui me l'a offert. J'hésite. Je porte la main à mon cou comme pour vérifier qu'il est bien là. Puis, d'une petite voix, je lâche : « c'est un cadeau de mon amoureux! »

ELLE. 13 août 2007. Propos receuillis par Antoine SILBER

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