vendredi 18 janvier 2008

c'est mon histoire "on a fait un bébé toutes seules! "

Séverine et moi, on est ensemble depuis trois ans et demi, bientôt quatre. Ca se passe super bien, on s'adore. J'ai 30 ans, Séverine 34. On vit à Paris, on gagne assez bien notre vie. On est féminines, plutôt jolies toutes les deux, on ne correspond pas du tout aux clichés généralement véhiculés sur les lesbiennes. Avant Séverine, je vivais déjà en couple mais je n'avais pas de désir d'enfant. A 20 ans je me disais même que si on était homo, on n'avait pas le droit d' en avoir! Avec elle, au bout d'un mois , je voulais un enfant, un enfant à nous deux, un enfant qu'on éléverait ensemble.

En France l'insémination artificielle est interdite pour les célibataires. Et aussi pour les couples homoseuxels. Et elle est anonyme. Nos copines qui veulent un enfant vont souvent en Belgique se faire inséminer. Mais là-bas aussi l'insémination doit se faire anonymement, sans qu'on connaisse le donneur. Moi, ça me posait un problème. C 'est peut-être bète mais je ne me faisais pas à l'idée que mon enfant ne connaîtrait jamais son père.

Une amie m'avait parlé d' un copain gay qui voulait être père. On a d'abord envisagé cette solution. On s'est rencontrès, on a commencé à discuter mais ce garçon a peu a peu developpé un lien très fort avec moi et Séverine le vivait mal. Elle se sentait exclue. Or moi, c'est avec elle que je voulais un enfant, pas avec lui. Je le lui ai dit, il s'est vexé. Du coup j'ai tout arrêté.

On s'est alors tournées vers Internet. C'est Séverine qui a découvert la solution hollandaise. En 2002, une loi a levé, là-bas, l'anonymat de l'insémination. C'est unique en Europe: ce sont les donneurs qui décident s'ils veulent rester anonymes ou non. Ils ont aussi le choix de l'utilisation de leur sperme. Ils peuvent dire: « moi je ne donne que pour des couples hétéros. » Ou, au contraire: « que pour des homos… »C'est trés libéral.

On avait repéré une clinique à Leyden , une petite ville à côté d'Amsterdam. Quatre mois aprés, on a eu notre premier rendez-vous . La clinique était une grande et vieille batisse pas loin des canaux. On s'est retrouvées là toutes les deux, acceullies par des femmes adorables qui nous ont posé un tas de questions sur nos parents , sur l'environnement familial du futur enfant et qui nous ont demandé si nous avions des attentes, des préférences pour l'enfant. Moi je suis trés brune, Séverine est chatain avec des yeux noisette. En fait, on aurait pu choisir: un bébé blond, un brun ; des yeux bleux, verts etc…. On n'avait pas pensé à ça, on ne venait pas là comme au super-marché ! On est sorties de la clinique super- émues. On avait eu peur que ça ne marche pas or non seulement tout était OK mais on avait été acceullies avec beaucoup de respect et d'attention. On a fété ça, on a passé un week-end génial à Amsterdam.

Les inséminations ont commencé en juillet 2005. C'est un processus assez lourd. Il faut trouver une gynéco, pour faire des échographies, voir l'évolution des follicules. Une ou deux échographies à chaque fois. Ensuite une piqure d'Ovitrelle , un médicament qui stimule l'ovulation. Quand on a les résultats de l'échographie, on envoie un fax a la clinique et si là- bas, ils donnent le OK, on déclenche l'ovulation et on part a Amsterdam dans les 24 heures faire l'insémination. Le problème, c'est que tout ça est interdit en France, la gynéco se met donc hors la loi. Il faut en trouver une qui n' a pas peur de se mettre en danger. La mienne a été géniale !

Les premières fois, on était très excitées. On se faisait notre petit week-end, on revenait d'Amsterdam, on attendait 15 jours. On était sûres que ça allait marcher. Normalement il faut une ou deux inséminations, mais là , rien. Trois, quatre voyages, toujours rien. Ca devenait le parcours du combattant, je commençais a perdre espoir. C'était loin. C'était fatigant. Cher en plus. 600 euros l'inscription. 400 euros les trois premières inséminations. Et après, la clinique a augmenté ses tarifs , ça a été 400 euros chaque insémination supplémentaire. On n'avait plus un euro, je devais faire le voyage seule.

Ma gynéco m'a alors fait faire des analyses complémentaires et on m'a trouvé une petite maladie gynécologique, une endométriose. Aprés la cinquième insémination, je me suis fait opérer…. Tout ça se passait l'an dernier, en juillet. Après l'opération, Séverine et moi, on est parties en vacances en Inde. Au retour, on a tenté une nouvelle insémination. Je suis retournée à Amsterdam en traînant les pieds . Je n'y croyais plus. Je pleurais dans le train, je pleurais encore en sortant de la clinique. Cette fois on n'a pas attendu le test urinaire, on a fait une prise de sang. C'était positif!

Aujourd'hui, je suis enceinte de 7 mois. Mon accouchement est prévu le 3 juillet 2007. Et on est sur un petit nuage . On a acheté des bodys, mais pas roses : rouges, verts, on aime les couleurs pétantes. On était persuadées que ce serait un garçon. Mais non c'est une fille. Dés la première échographie, elle était là : c'était notre fille ! Depuis, on est vraiment dans une histoire à trois. A la clinique où je suis allée m'inscrire, on m'a demandé: « Et le nom du papa ? ». J'ai dit: « il n'y a pas de papa. Il y a une deuxième maman. » On m'a répondu : « Ah ! Mais c'est super…. »

A 12 ans, notre fille pourra avoir des informations sur son géniteur. Ce qu'il fait. Qui il est. Quand elle aura 16 ans, elle pourra demander la levée complète de l'anonymat. Que se passera-t-il d'ici là, quand elle me demandera: « mais où est mon papa ? » . Je lui dirai: « c'est grâce a un monsieur trés généreux que tu existes. Tu es née d'un double désir, de notre désir à nous, tes deux mamans et de son désir à lui, ton géniteur…. » Elle va naître à ça comme nous on va naître comme mères. Toutes les trois, on va inventer notre vie.

Je ne fais pas un enfant seule, loin de là. Avec Séverine, je donne à ma fille quelqu'un de magnifique! Je ne dis pas qu' on n'a pas besoin de père. Moi j'adore mon père, par exemple. Je dis simplement qu'on n'a pas forcément besoin d'un père à la maison. Ce qui ne veut pas dire qu' elle n' aura pas de référent masculin. Elle le trouvera ailleurs. Dans la société. Je n'ai aucune culpabilité là- dessus . Le problème c'est que Séverine , ma conjointe, la personne avec qui j'ai voulu avoir ce bébé n'aura aucun droit,elle, aucun statut. Sauf si la législation change.. Son implication dans l'éducation de cette enfant va être énorme. Elle sera son deuxième parent. Mais quelle reconnaissance sociale aura-telle?

Je suis allée à la mairie inscrire ma fille à la crèche. J'ai dit: « je vis avec une femme ». On m'a répondu: « on ne prend pas ça en compte. ». J'ai téléphoné aux allocations familiales. Là, on m'a dit que les cotisations seraient calculées sur nos deux salaires…. Autrement dit, je n'aurai pas droit à l'allocation de mère célibataire puisque je suis considérée comme vivant en couple par la CAF. Et Séverine n'aura pas droit au congé paternité puisqu'elle est une femme.

Ma mère est super heureuse. La maman de Severine attend elle aussi la naissance comme une future grand mère. Elle s'inquiète juste un peu: « Et si vous vous séparez ,et que je me suis attachée a cette enfant, alors je ne pourrais plus la voir ? » Avec Séverine , on la rassure. On lui dit que ça va bien se passer. Il y a des histoires d'homo parentalité qui se passent extrèmement mal mais d'autres où tout va super bien. C'est comme tout. C'est comme la vie. Tout dépend ce qu'on en fait. Et nous on est bien décidées à faire de notre vie quelque chose de génial!


Propos receuillis par Antoine Silber

ELLE-N°3201/7 mai 2007

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