"...Et j’ai épousé mon mari virtuel! "

EverQuest est le jeu de rôle le plus connu du net. Charlotte et Alex y ont célébré virtuellement leur mariage.Avant de se prendre au jeu et de se marier réellement.






J'ai rencontré Alexandre, mon mari, en jouant sur Internet….Quand je dis ça, parfois on ne me croit pas. On pense que j'en rajoute, que j'enjolive. Mais c'est vrai: c'était sur un jeu appelé EverQuest, l'adaptation en ligne de « Donjons et dragons », le roman de J. R. Tolkien.


Je vivais alors avec Benoît, un fan de jeux vidéos. Pas un geek, mais presque. Je passais mes soirées à attendre qu'il quitte son clavier pour venir me rejoindre. Moi je me suis toujours couché tôt, vers 10 heures. Il ne venait jamais au lit avant une heure du matin, je haïssais ce jeu qui me volait l'homme que j'aimais. Je faisais mon droit,je voulais devenir avocate. Lui avait commencé un BTS qu'il n'a jamais terminé et il avait en même temps un petit boulot dans une boîte d'informatique mais qui l' intéressait beaucoup moins que tous les nouveaux jeux qu'il essayait. Quand EverQuest est arrivé, Benoît s'est passionné pour cet univers médiéval et très poétique plein d' Elfes, de trolls, de nains et de gnomes. Sur ce jeu, il était un sorcier et avait choisi comme pseudo QPIDON, comme le dieu romain de l'amour, ça ne s'invente pas, c'était même assez prémonitoire.Moi, je ne m'intéressais pas plus que ça aux jeux. Mais un soir, je m'ennuyais, alors je me suis mise devant l'ordinateur et je suis allée moi aussi sur EverQuest.



Il fallait que je choisisse un avatar. Comme j'aime bien soigner les gens, je me suis coulée dans la peau d'un prêtre guerrier. Et j'ai pris pour pseudo" Flabelina". C'est là que je suis tombée sur Alex. Le but du jeu est de s'organiser en « groupes ». On sauve des gens , on en rencontre, on tchat . Très vite, j'ai beaucoup aimé. Je rencontrais des amis, on allait ensemble à la chasse aux monstres….. Ma première rencontre avec Alex, rencontre virtuelle je veux dire, date du 31 octobre 2001. Depuis quelque temps Benoit-Qpidon n'arrêtait pas de me parler d'un certain INGHAM, un type super sympa, la star du jeu. Cet Ingham, j'ai fini par le croiser. Je l'interpelle:" Vous êtes Ingham? LE Ingham? » Je lui explique que je suis la petite amie de Qpidon. Nous avons commencé à « grouper » ensemble, comme on dit. A nous échanger des armes , des petits gâteaux et très vite, on s'est bien, très bien entendus.


Il m'offrait des fleurs, des bagues. Il me faisait rire. Tout ça virtuellement,bien sûr. Je le trouvais adorable. Je commençais à me dire que c'était un homme comme lui qu'il me faudrait .Je n'étais pas heureuse avec Benoît. Physiquement, ça allait, mais pour le reste, pour la tendresse: zéro. Dans ce jeu, vous acquérez de l'expérience, de la puissance. Ensemble Alex et moi, ou plutôt Ingham et Flabelina, nous nous sentions de plus en plus forts. Nous adorions nous retrouver. Une fois, il a proposé qu'on fasse une photo ensemble à la proue d' un bateau comme Kate et Leonardo dans « Titanic ». Une autre fois, il a approché sa main de mon decolleté (ou plutot Ingham , son avatar du décolleté de Flabelina) , en disant « je t'aime « . En décembre 2001, nous avons même célébré notre mariage virtuel. Le 18 décembre exactement.On avait deux amis témoins . Un prêtre dirigeait la cérémonie. Au moment où nous nous disions oui, un vol de colombes nous saluait.
J'ai retrouvé un dialogue qui date de ce jour là. Pour vous donner une idée du style:
Ingham: « Mon amour perdurera même dans la mort…»
Flabelina: « Oui je veux te prendre pour époux . Pour t'aimer, te chérir et faire de toi l'homme le plus heureux…. »
Le prêtre:« Par ma présence, je scelle le mariage de mes amis. Que vos ennemis périssent sous le feu de sa puissance. Et que vos amis soient bénis par sa bonté. Je vous déclare unis a jamais. »
Un des amis témoin:« on va sceller ça dans la bière je propose. »



On ne se mariait pas seulement pour le fun. On était déjà amoureux, même si on ne s'était jamais vus. J'ai d'ailleurs eu droit à ma lune de miel sur la lune. Sur la lune, vous vous rendez compte! Pendant ce temps-là, Benoît, l'homme avec qui je vivais dans la réalité, dormait dans la pièce à côté…




Longtemps, je me suis dit que ce n'était qu'un jeu, que je n'étais pas réellement amoureuse.Et puis un jour, Alex a appelé. Il avait une voix sublime. On parlait, je l'écoutais et je mourais d' envie de le voir, de le toucher. Il m'a envoyé une photo. Je suis redescendue de mon nuage : il était plus jeune que moi, de trois ans exactement, mais gros et déjà chauve. Très rond, vous voyez. J'étais troublée , je me disais que ça ne pouvait pas marcher. On était en janvier 2002. On n'a plus eu de contact jusqu'à l'automne mais en septembre il a rappelé et je n'ai pas pu résister, je suis allée le retrouver un week-end à Paris.


J'habitais Toulouse. Lui Marne la Vallée. Nous nous sommes retrouvés gare Montparnasse. C'était la première fois qu'on se voyait en chair et en os, c'était bizarre. D'un côté, je pensais qu'il n'était pas du tout mon type d'homme. D'un autre, je me sentais étrangement bien avec lui. Nous sommes restés ensemble une heure, à nous tenir la
main, et puis chacun est reparti de son côté. Physiquement,j'étais sûre que ce n'était pas ça, que ce ne serait jamais possible. N'empêche, j'étais amoureuse même si je ne voulais pas le reconnaître.



L'hiver est passé, mon anniversaire est arrivé . Le 4 mars 2003. Je reçois un mail de lui :« J'espère que tu es heureuse » Qu'il reprenne contact, qu'il pense à moi, ça m'a tellement plu! Je n'ai pas hésité , j'ai proposé à Benoît: « Pourquoi est-ce qu' on ne l'inviterait pas un week-end à Toulouse? Il est sympa…» Les choses étaient claires : je n'étais pas avec lui, il ne s'était jamais rien passé entre nous, « De toutes façons, » je fais pour rassurer Benoît, « tu n'as rien à craindre. Il n'est pas mon style… »


Je suis allée l'acceuillir à la descente du train. Il portait un sweet gris, il n'était pas vraiment à son avantage…. Il m'a prise dans ses bras, j'ai compris qu'il allait se passer quelque chose. Après, dans la voiture, il a mis sa main sur la mienne, et c'est là que notre histoire a commencé. Tout d'un coup. Comme une évidence. Deux semaines après, il revenait à Toulouse. Et j'annonçais à Benoît que je le quittais après cinq ans de vie commune. On était le 8 mai.


Alex a fait beaucoup d'allers-retours entre Paris et Toulouse pendant cette année 2003 puis ensuite au début de 2004. En avril, je préparais un DESS, je suis allée, faire un stage dans un cabinet de courtage, dans la région parisienne. Ses parents m'ont hébergée, chez eux , à Coupvray, en Seine et Marne. En octobre 2004, Alex et moi, on s'installait ensemble


Il a fait un régime. Je lui ai acheté des chemises Oxford bleu ciel, des pantalons beige. Je l'ai pas mal relooké. Je n'ai pas la prétention de dire que je l'ai transformé mais aujourd'hui je le trouve vraiment beau. Alexandre a maintenant 27 ans , moi 30. Il est chef de projet dans une boîte informatique. En même temps, il prend des cours du soir au CNAM. Il veut devenir ingénieur. Il en veut. Il n'est pas seulement gentil, tendre. Exquis, même. Il est ambitieux et je trouve ça sexy. En plus, il me rassure. Avec lui, j'ose plus. J'ai moins peur.




Nous nous sommes mariés, pour de vrai, le 7 juillet dernier. Il a fait sa demande très simplement. Sa grand mère venait de mourir, il m'a juste dit: « viens, on va aller chercher un dossier à la mairie…» Trois semaines après, on plantait deux tentes dans le jardin de ses parents et on invitait quarante personnes. J'avais peur qu'il ne pleuve. Il m'a dit: « Tu vas voir. Avec moi, il fait toujours beau ». Et il a fait beau!


Nous habitons une maison à Serris , tout prés de Dysneyland et j'aime ma vie avec lui. Je sais qu'il est l'homme avec qui je veux des enfants, qu'il est mon prince charmant. Aujourd'hui, le couple Ingham- Flabelina n'existe plus que dans nos souvenirs, mais le couple Charlotte-Alex, ce couple-là, en revanche est bien réel. Je crois même qu'il a beaucoup d'avenir.



ELLE. 1er Octobre 2007 . propos receuillis par Antoine Silber